Les gouvernements africains
Le Groupe des négociateurs africains sur le climat
L’Union africaine
Le Peuple africain
Lutter contre l’injustice en période de transition :
– Déclaration du peuple africain sur la justice climatique aux gouvernements africains / Octobre 2022
Nous Peuple africain :
De manière solidaire – femmes, hommes, jeunes, paysans, mouvements et organisations communautaires et de la société civile – formons un front uni contre la crise multidimensionnelle qui sévit sur notre continent.
Constatant la récurrence et l’intensité des crises climatiques en Afrique qui nous réunissent dans notre diversité, appelons à l’unisson les dirigeants africains et du monde entier, à prendre à bras le corps les questions de changement climatique et à faire en sorte que la justice climatique soit rendue de toute urgence.
Sachant que les dirigeants africains et du monde entier se préparent à se réunir à nouveau pour la 27ième édition de la Conférence des Parties (COP), nous, Peuple africain, avons fait le bilan des engagements pris lors de la COP 26 et précédentes, et de l’état de mise en œuvre de ces engagements.
Reconnaissant que cette COP27 se tiendra sur le sol africain, il est extrêmement important que les voix africaines soient entendues et que nos préoccupations et recommandations soient prises en compte.
Rejetant toute tentative de faire passer la COP 27 pour une COP africaine si celle-ci ne reconnaît pas les voix des peuples africains dans leur diversité et ne fait pas pression pour des accords visant à concrétiser nos attentes en matière de justice climatique.
Conscients, par conséquent, des effets actuels de la crise climatique en Afrique et dans le monde
Le changement climatique reste le plus grand « défi existentiel » de l’Afrique1. Nous ressentons déjà les effets de la crise climatique, comme en témoigne le cyclone Batsirai qui a frappé Madagascar en février 2022, suivi de fortes tempêtes qui ont causé environ 150 000 déplacés et placé 1,64 million de personnes en situation d’insécurité alimentaire grave, exacerbant ainsi les effets de la pire sécheresse depuis 40 ans dans d’autres parties du pays. La « bombe de pluie de Durban » d’avril 2022 a également provoqué des inondations dans le KwaZulu Natal en Afrique du Sud, causant 450 pertes en vie humaine, 40 000 personnes déplacées et 12 000 maisons détruites2. En 2019, le cyclone Idai a fait plus de 960 morts, des milliers de disparus et affecté près de 3 millions de personnes au Mozambique, au Zimbabwe et au Malawi3 et a été suivi de 4 autres cyclones en l’espace de 2 ans. Les tempêtes de poussière font des ravages dans le Sahel4.
Tout cela a un impact négatif sur la sécurité alimentaire et entraîne une perte de biodiversité en Afrique. Des millions de personnes souffrent d’une extrême famine et ont besoin d’aide alimentaire sur le continent. Les paysans, dont la majorité sont des femmes, produisent l’essentiel de la nourriture locale pourvoyant aux besoins des foyers africains – près de 80% de la nourriture totale consommée par les Africains. En outre, leurs moyens de subsistance proviennent principalement de l’agriculture pluviale et d’autres produits naturels disponibles sur leurs territoires. Ils (les agriculteurs) sont les plus touchés par les effets du changement climatique au niveau des économies rurales. Les paysannes sont également responsables de l’approvisionnement en énergie et en eau de leurs familles et de leurs communautés et sont les principales pourvoyeuses de soins aux malades, ce qui complique leurs multiples rôles en temps de crise. La crise climatique contraint l’Afrique à devenir importatrice de produits alimentaires, rendant les prix de ces denrées alimentaires hors de portée des gens ordinaires. Par ailleurs, dans de nombreux cas, ces prix sont inférieurs à ceux des marchés locaux.
Le changement climatique, les conflits induits par la course aux ressources et les catastrophes environnementales se poursuivent sans relâche non seulement dans la région africaine, mais également dans le reste du monde et des centaines de milliers de familles ont été fortement affectées, rien qu’en 2022. Avec l’aggravation des phénomènes climatiques extrêmes, l’insécurité a favorisé l’apparition de conflits armés dans des régions fragiles telles que le long du Delta du Niger, le bassin du lac Tchad, la corne de l’Afrique, le bassin de la RDC et l’Amazonie (exploitation du bois par les multinationales) – des régions où la faiblesse des institutions et des économies, l’injustice, la violence et l’insécurité sociale sont déjà monnaie courante.
Actuellement, des vagues de chaleur sans précédent balaient le monde, provoquant des incendies de forêt et faisant des milliers de victimes. L’Europe fait face à sa pire sécheresse en 500 ans tandis que les récentes inondations causées par la mousson frappent le Pakistan (Asie) depuis la mi-juin 20225 plongeant ainsi un tiers du pays sous les eaux. Les îles des Caraïbes sont menacées de disparition en raison de l’élévation du niveau de la mer. En Chine, une vague de chaleur record combinée à une sécheresse prolongée pendant la saison habituelle des inondations a fait des ravages, menaçant les capacités hydroélectriques et d’approvisionnement alimentaire futures du pays6. Tous ces effets sont ressentis dans un contexte de faible capacité d’adaptation au changement climatique dans les pays du Sud.
La mauvaise gouvernance des ressources naturelles par l’extractivisme – le pillage à grande échelle de nos ressources à des fins lucratives et pour satisfaire la surconsommation des élites du Nord et du Sud – a entraîné une augmentation de la pauvreté et du mal-développement au sein des communautés et des nations et constitue un moteur de la crise climatique et écologique. L’agriculture, la sylviculture et la pêche industrielles ainsi que la promotion irréfléchie de ces solutions et d’autres fausses solutions poussent l’Afrique au bord de la destruction. Ironiquement, l’on assiste à une nouvelle poussée des investissements dans les énergies fossiles en Afrique, sous l’impulsion du conflit russo-ukrainien. Une situation qui a aggravé l’injustice climatique dans le monde car les pays du Nord poussent les pays pauvres du Sud à investir dans les énergies fossiles tels que le gazoduc de 400 milliards de dollars qui reliera la région du Delta du Niger (Nigeria) à l’Europe7. Et ce, indépendamment du fait que les mêmes pays du Nord appellent les nations à réduire progressivement leurs investissements dans les énergies fossiles par crainte d’une augmentation des émissions de GES. Tragiquement, l’Afrique est le plus petit émetteur avec moins de 4% des émissions mondiales, mais c’est elle qui paie le prix fort des chocs et des catastrophes climatiques.
Il est de plus en plus évident que l’exploitation du gaz en Afrique ne procurera pas de bénéfices économiques à long terme au continent. Les seuls gagnants à court terme seront les pays européens à la recherche de sources d’approvisionnements alternatives au gaz russe, ainsi que les sociétés pétrolières et gazières transnationales cherchant à réaliser d’énormes profits. Les plus grandes compagnies pétrolières et gazières du monde prévoient 195 projets pétroliers et gaziers gigantesques appelés « bombes à carbone », notamment en Afrique, qui entraineraient le dépassement des seuils de température fixés au niveau international. Les bombes à carbone produiront des émissions de 646 GtCO2, dépassant le budget carbone mondial de 500 GtCO2. Les émissions de carbone n’ont pas de frontières ; toute augmentation dans n’importe quel pays nous affectera tous8. Nous devons amorcer la transition vers les énergies renouvelables. Les énergies renouvelables décentralisées et dirigées par des femmes et des communautés sont moins chères et plus sûres et présentent des avantages pour l’environnement et la société. Ceci est une évidence en Afrique où la majeure partie du continent n’est pas enfermée dans l’énergie sale.
La promotion agressive de l’hydrogène « vert » est une distraction dangereuse et sale, surtout lorsqu’il est dérivé du gaz naturel et d’autres énergies fossiles. Les investissements massifs et les infrastructures – en partie subventionnés par nos propres États – sont destinés à servir le Nord, avec peu ou pas d’accès significatif à l’énergie dans nos propres territoires. Nous sommes prêts à exposer, à discréditer, à décourager et à stopper toute forme d’exploration et de production d’hydrogène gazeux.
Reconnaître :Les Sommets mondiaux sur le climat continuent de nous décevoir!
Alors que la COP 27 met l’accent sur l’Afrique et sa vulnérabilité climatique, ainsi que sur l’absence d’engagement de la part des pays du Nord vis-à-vis de la CCNUCC, le discours de la « transition juste » est enfin reconnu par les gouvernements (après des années de luttes et d’actions communautaires). Cependant, nous assistons à une poussée plus forte de l’industrie, qui renforce davantage le colonialisme des énergies sales. La « Position africaine sur l’accès à l’énergie et la transition énergétique » récemment proposée par l’Union africaine, si elle est adoptée par les chefs d’État, pourrait exacerber un régime oppressif sur l’ensemble du continent africain. Elle anéantira les efforts visant à renforcer l’égalité, la démocratie ouverte, la prise en compte de la voix des peuples et la justice entre les sexes, et mettra fin aux espoirs d’un avenir énergétique sans énergies fossiles pour les populations africaines ainsi que les ambitions mondiales d’atténuation d’ici 2050.
L’intérêt croissant pour les ressources énergétiques sales dans toute la région est aux antipodes des engagements pris lors de la COP 26. L’expansion des activités liées aux énergies fossiles en Afrique du Sud, les explorations pétrolières et gazières au Zimbabwe, l’exploitation de réserves de pétrole et de gaz offshore au Nigeria et les activités gazières au Mozambique et les intérêts en RDC9, 10, sans parler de la réactivation de l’utilisation du charbon en Europe pour combler le vide créé par la guerre en Ukraine11,12 ne sont que des exemples de ce que la réduction de la dépendance à l’égard des énergies fossiles sales n’est qu’un vœu pieux.
Les fausses solutions telles que le recyclage des produits chimiques, l’incinération des plastiques et des déchets, les marchés du carbone, la compensation carbone, la géo-ingénierie, le « zéro émission nette », etc. dans divers pays africains financés par le Nord appellent davantage à l’urgence climatique et à jeter un regard sur les communautés vulnérables qui sont en première ligne et n’ont aucun moyen de défense face aux impacts dévastateurs du changement climatique.
Les petits producteurs de denrées alimentaires en Afrique, en particulier les agricultrices, continuent de lutter contre les injustices découlant de structures politiques inadéquates et de la destruction de systèmes alimentaires durables dans le contexte du changement climatique. Le discours actuel sur l’alimentation et le changement climatique est capté par les entreprises internationales et ne reflète pas la voix des paysans, en particulier des agricultrices, qui sont pourtant les plus touchées par le changement climatique. Le changement climatique et les systèmes alimentaires industriels actuels détruisent l’écosystème et créent des inégalités sociales. En tant que continent, il est plus que jamais temps d’exiger la souveraineté alimentaire, qui inclut un système alimentaire durable fondé sur l’agroécologie, les marchés territoriaux et les droits des paysans. Il est temps de revendiquer notre droit à une alimentation culturellement appropriée, produite selon des méthodes écologiquement saines et durables. Les petits producteurs et les consommateurs doivent avoir leur mot à dire sur la façon dont les aliments sont produits, transformés, commercialisés et consommés. Nous disons NON à l’utilisation de l’alimentation comme moyen de contrôle des peuples du monde.
PAR CONSEQUENT : Nous appelons la Délégation africaine à la COP 27 – à faire pression pour obtenir les résultats suivants :
-
Le financement du climat doit être accru pour atteindre l’objectif fixé ; il doit être sous forme de subventions et sans conditions répressives et créatrices de dette. Il doit cibler les communautés les plus vulnérables en première ligne de la crise climatique en Afrique, notamment les productrices de produits vivriers en milieu rural.
-
Des engagements clairs doivent être pris en matière de réparation des « pertes et dommages ». Il est nécessaire de veiller à ce que les responsabilités historiques du « pollueur-payeur » pour la « dette climatique » des grands pollueurs soient honorées et payées aux communautés autochtones et locales opprimées en Afrique et dans les autres pays du Sud en fonction de l’impact de la crise climatique sur elles. Le Nord doit compenser de manière juste et équitable les pertes et les dommages subis par ceux qui sont les plus vulnérables, et souvent les moins responsables de la destruction des environnements. Il est nécessaire de plaider pour que le Dialogue de Glasgow passe d’une plate-forme de négociation ouverte sur les pertes et dommages à un mécanisme d’urgence doté de cadres de redevabilité.
-
Construire la Souveraineté alimentaire : Reconnaître, respecter et soutenir l’agroécologie paysanne et d’autres modèles de production et de distribution alimentaires réellement durables, fondés sur la souveraineté alimentaire comme alternatives au système alimentaire industrialisé. Les initiatives au niveau local doivent renforcer les systèmes alimentaires et la souveraineté alimentaire des femmes et des paysans et être soutenues par des ressources nationales et internationales sans aucune condition. Les gouvernements doivent accroitre les allocations budgétaires nationales à l’agriculture, et protéger les semences locales et les systèmes de semences, sur la base du principe du consentement libre, préalable et éclairé (et continu) des petits producteurs et consommateurs de denrées alimentaires.
-
Arrêter de financer de fausses solutions : Abandonner toutes les fausses solutions (y compris le « zéro émission nette », les mécanismes d’échange et de compensation des émissions qui ont échoué, tels que le Mécanisme de développement propre (MDP), les soi-disant solutions fondées sur la nature et d’autres fausses solutions techno-fixes comme la géo-ingénierie, la séquestration dans les monocultures, les modifications et manipulations génétiques dangereuses). L’énergie nucléaire, les grands barrages et les modèles économiques « Verts » et « Bleus » doivent être dénoncés comme des escroqueries et être abandonnés et abolis. Garantir un soutien aux communautés vulnérables afin qu’elles puissent mieux se reconstruire grâce à des mécanismes de relèvement, de résilience et d’adaptation.
-
Laisser les énergies fossiles sous terre : Les gouvernements du Nord et du Sud et les financiers des industries mondiales du pétrole, du gaz et du charbon doivent cesser toute nouvelle exploration. Nos gouvernements doivent réorienter les réserves existantes vers un programme de souveraineté consistant à éliminer progressivement les énergies fossiles et à s’engager dans une transition énergétique juste. Le Consentement libre, préalable, éclairé et continu des femmes, des peuples autochtones et de leurs communautés, et leur Droit de dire Non aux projets d’extraction et d’utilisation d’énergies fossiles sur leurs territoires, ainsi qu’aux mégaprojets d’infrastructure nuisibles, doivent être reconnus et respectés et toute perte et dommage subi doit être indemnisé équitablement.
-
Transformer notre système énergétique: Des idées telles que la suffisance énergétique pour tous, la souveraineté énergétique, la démocratie énergétique, les technologies énergétiques gratuites, l’énergie en tant que bien commun, l’énergie renouvelable à 100% pour tous, les énergies renouvelables appartenant à la communauté et les énergies renouvelables à faible impact peuvent nous aider à entamer une transition urgente en tant que société vers un mode de vie juste et en harmonie avec la Nature.
-
Construire la paix et mettre fin à l’hypocrisie climatique : La guerre est rentable (pour quelques-uns), la montée actuelle de l’appétit mondial pour les réserves énergétiques africaines s’insère dans une lutte mondiale pour le pouvoir sur les approvisionnements énergétiques de l’Europe, les multinationales pétrolières et gazières cherchant à détruire davantage nos environnements et à tirer d’énormes profits du secteur. Malgré les nombreuses promesses et les efforts des gouvernements puissants pour s’attaquer aux causes du changement climatique, les émissions et la pollution provenant de l’énergie et de l’industrie ont augmenté de 60% depuis la signature de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique en 1992. L’exploration du gaz africain n’est même pas destinée à profiter aux populations du continent. La majeure partie du gaz est destinée à l’exportation. Et non aux besoins humains fondamentaux et aux droits de nos peuples.
-
Mettre fin au colonialisme des déchets : Les pays du Nord doivent mettre fin au déversement de déchets dans les pays du Sud et toutes les parties doivent s’engager à exclure l’incinération des déchets pour en faire de l’énergie des plans climatiques nationaux et autres. Mettre fin à l’expansion de la pétrochimie, réduire la production de plastique et éliminer progressivement le plastique et les emballages à usage unique dans différents secteurs. Investir dans des plans et des mesures de réduction des déchets et des systèmes d’économie circulaire zéro déchet, notamment des systèmes de distribution de produits alternatifs basés sur la réutilisation. Tenir les entreprises polluantes responsables de la pollution plastique et de leur énorme contribution au réchauffement de la planète, conformément au principe du « producteur-payeur », et reconnaître le rôle des personnes impliquées dans la réduction de l’impact du plastique sur le climat.
-
Respecter et faire respecter les droits des peuples : Utiliser la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Paysans et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones face à l’injustice climatique. Réviser les cadres juridiques nationaux pour mieux prendre en compte les droits des communautés locales et des peuples autochtones, et en particulier pour renforcer les droits des femmes et leur protection contre la violence. Nous, l’ACJC, sommes fermement solidaires des régions de Cabo Delgado au Mozambique, de la région de l’Okavango en Namibie, et de toutes les communautés et territoires touchés par les conflits armés et les guerres des ressources, ainsi que de tous ceux touchés par le projet Oléoduc de l’Afrique de l’Est (EACOP) et le projet Gazoduc de l’Afrique de l’Ouest (WAGP). Les actions climatiques qui perpétuent l’injustice et la poursuite de l’exploitation des ressources naturelles et du déplacement des femmes, des agriculteurs et de communautés entières en raison de fausses solutions doivent faire place à une transition équitable et juste dans les domaines de l’énergie, de l’agriculture et des mines.